Lorsque je me suis lancée dans l'aventure de l'IEF, le sujet sur lequel je me sentais le plus perdu était l'apprentissage de la lecture. Nous sommes tentés d'investir dans des achats plus ou moins utiles : puzzles alphabet, livres, manuels d'exercices, abécédaires... Viennent ensuite les interrogations : par quoi débuter ? Faut-il leur apprendre les lettres de l'alphabet par cœur ? Quelle méthode privilégier parmi les dizaines existantes ? A quel âge commencer ?
Pas d'inquiétudes ! Cet enseignement qui nous semble insurmontable et fastidieux peut devenir simple et accessible aux yeux de nos enfants. Il nous suffit de prendre en compte plusieurs paramètres avant de nous lancer. De plus, cela demande peu de matériel.
- Lire réorganise notre cerveau :
Il est avant tout important de garder à l'esprit que l'entrée dans la lecture n'est pas un apprentissage naturel chez l'être humain. Contrairement au langage oral ou à la marche, notre cerveau n'est pas câblé pour apprendre à lire et à écrire. Il va devoir recycler la région cérébrale destinée à la reconnaissance des visages et des objets, cette dernière migrant dans une autre partie du cortex. Cela nous demande donc un immense effort qui induit de gros changements. Ces modifications s'accompagneront de contraintes : l'association entre le son et la lettre doit être explicite (de la même façon que si l'on nous présentait une personne, il nous faudrait la nommer pour la reconnaître), la cohabitation momentanée des deux fonctions cérébrales dans la même région provoque une mise en miroir des lettres (écrire de droite à gauche, confondre p et q...). Ce dernier inconvénient ne doit pas alerter, c'est un processus naturel qui s'évanouira avec le temps.
- L'alphabet est inutile :
Du moins au début. Apprendre les lettres de l'alphabet aux enfants de maternelle est une démarche emprunté par toutes les écoles en France. Pourtant, cela amène confusion et perte de temps chez le tout petit désireux d'entrer dans la lecture. En effet, le son et le nom des lettres ne sont pas identiques. Par exemple le S se prononce ssssss mais nous l'appelons èèèèssss. L'enfant qui tentera de décoder lira donc èèèsssac pour sac, ce qui ne fera pas sens à ses yeux. S'en suivra certainement un découragement ainsi qu'une diminution de l'intérêt concernant la lecture chez le tout petit. De même, leur apprendre en même temps le son et le nom des lettres ralentiraient considérablement l'enseignement. Il est en fait plus pertinent de leur présenter l'alphabet une fois que la lecture sera bien ancrée. Car, désapprendre l'alphabet pour assimiler tous les sons est un processus plus long que le cheminement inverse.
- Adieu méthodes globale et syllabique :
Apprendre par cœur des mots ou phrases, apprendre par cœur des syllabes... Dans ces deux méthodes bien connues, la reconnaissance des sons est insuffisamment précise. L'enfant finit par réussir à lire, mais avec de courantes lacunes. Lorsque notre apprenti lecteur se retrouvera confronté à des mots inconnus, cela lui demandera un effort surdimensionné pour en décrypter le sens. Habitué à des groupes de sons indivisibles (les syllabes), l'enfant se trouvera en difficulté lorsqu'il faudra les séparer en unités de sons plus petites. Plusieurs travaux scientifiques suggèrent qu'en souhaitant simplifier la découverte de la lecture, nous rendons la tâche plus ardu à nos enfants. Ce serait, d'après les chercheurs, comme d'enseigner la parole à un bambin en ne lui prononçant que des lettres, des syllabes, puis des groupes de mots, et enfin des phrases. Il serait alors plus que certain que ce dernier serait incapable d'échanger un dialogue constructif avec ses pairs. C'est en baignant dans un environnement linguistique riche qu'un tout petit développera la parole. Il devrait en être de même avec la lecture.
- Oui à la méthode phonémique :
Il existe dans la langue française 36 phonèmes principaux (liste ici), c'est à dire des sons. Ces sons mis bout à bout forment des mots. En appliquant la leçon en 3 temps d'Edouard Seguin à chaque étape, la méthode phonémique est donc très simple :
- La première phase consistera essentiellement à éveiller la conscience phonémique de l'enfant en lui proposant un petit jeu. Il vous suffit de lui présenter 3 objets que vous aurez préalablement sélectionnés, aux appellations composées de sonorités différentes en début de prononciation. Nous les appelons les sons d'attaque. Il conviendra de changer régulièrement les éléments présentés afin de diversifier les sonorités. Nous pouvons également introduire les phonèmes de fin de mot. Il ne faut jamais hésiter à exagérer longuement sur l'articulation, en attirant l'attention sur le positionnement de la bouche. Concrètement, cela donnerait :"Voici un cccccchhhhhhhhat, répète après moi, ccccchhhhhh-at. Et là c'est une ooooooorange, répète ooooooo-range. Ici c'est une fffffffffffourchette, tu répètes fffffff-ourchette ?". Par la suite, nous demanderons à l'enfant :"Montre moi l'objet qui commence par ccccchhhhhh ?". L'enfant pointera du doigt le chat. La variante de cette activité est le jeu mon petit œil voit... Et il s'agira de continuer par :"un objet qui commence par mmmmm." L'enfant devra trouver la bonne réponse. Au delà de l'éveil phonémique, cette activité va permettre à l'enfant d'améliorer nettement son élocution. C'est d'autant plus appréciable chez les petits qui manifestent des difficultés liés à des troubles du langage ou chez les non-francophones.
- La seconde phase amène le code alphabétique. Pour cela, il faut introduire les lettres de l'alphabet ainsi que les groupes de lettres : les digrammes (ou, in, ch, on, an, gn, ai...).Tous ces signes graphiques viendront coder les sons de la langue française. Il suffira d'expliquer à l'enfant :"Tu te souviens que dans le mot chat on entend ccchhhh ? Je vais te montrer comment l'écrire..." puis de lui présenter la carte rugueuse ch. Pour faciliter l'imprégnation, faites toucher à l'enfant la carte dans le sens de l'écriture de façon à ce qu'il assimile le geste, tout en prononçant le phonème. Voir, toucher, entendre augmente ses chances de retenir le nouveau symbole. Afin de simplifier également l'enseignement de la lecture, il est préférable d'apprendre à l'enfant le son le plus fréquemment codé par une lettre. Par exemple, pour la lettre C il faut utiliser le son kkk comme dans camion, le son sss étant plus rare. De même qu'avec E qui se prononce plus régulièrement ééé.
- La troisième phase consolide la compréhension du code alphabétique par le biais d'activités. Parmi les plus connus nous trouvons la mise en paires des objets utilisés en éveil phonémique avec les cartes rugueuses des lettres et digrammes correspondant phonétiquement. Mais la plus courante reste la dictée muette : un alphabet mobile où - grâce aux lettres détachées - l'enfant est amené à composer un mot désigné sur une image. Cela lui permet de s'approprier efficacement le code alphabétique par la manipulation tout en étant libéré de la contrainte graphique qu'il ne maîtrise pas encore à un si jeune âge. A ce stade, l'orthographe ne compte pas, l'important étant que l'enfant s'amuse à constituer et coder des mots. A mesure que ce dernier entrera dans la lecture et qu'il lira régulièrement, il absorbera peu à peu les règles de l'orthographe française.
- Le déclenchement spontané de la lecture : A force d'entraînement aux ateliers, le décodage des lettres en sons s'automatisera et deviendra plus fluide. Pour encourager l'enfant à s'améliorer, nous pouvons lui écrire des secrets sur un morceau de papier. Au départ ce ne seront que des mots simples avec les éventuelles lettres muettes soulignées pour indiquer qu'il ne faut pas les prononcer, comme le T dans chat. Ce pourrait être des noms d'objets à aller chercher par exemple. Puis nous pourrons passer aux phrases courtes :"Sonne une cloche; ouvre la porte; fais un bisou" etc...
Il est aussi possible d'inviter l'enfant à jouer avec des pochettes de lecture. Chaque pochette étant dédiée à un son, et qui contiendra plusieurs images et mots à associer correctement.
- Lire des livres : Lorsque l'enfant réussi à décoder de simples phrases, il est alors temps de l'inviter à lire ses premiers livres. Il existe plusieurs collections adaptés aux tout jeunes lecteurs. Les textes sont très court : généralement une phrase ou deux par page. Les mots sont simples et les lettres muettes sont soulignées. Les niveaux sont progressifs de façon à augmenter graduellement le vocabulaire, la densité du texte, pour finir par stopper l'indication des lettres à ne pas prononcer.
- Pourquoi utiliser uniquement l'écriture cursive pour débuter ?
La réponse est toute simple. L'enfant en effectuant le geste du graphème rugueux en cursif gardera en mémoire le procédé lorsqu'il rentrera dans l'apprentissage de l'écriture. Le processus d'enseignement en sera grandement facilité.
Par ailleurs, des travaux scientifiques démontrent que le cerveau est capable de décoder toutes les formes de graphie (scripte, majuscule, cursif...), une fois qu'au moins l'une d'entre elle est intégrée. Le cursif étant l'écriture la plus courante, ce choix devient une évidence.
- Le matériel sur lequel s'appuyer :
1. Petits objets dans un pot : Lors de la première étape d'entrée dans la lecture, il est stipulé de montrer à l'enfant de petits objets qu'il sera libre de manipuler et qui serviront à éveiller sa conscience phonémique. Personnellement, je n'ai rien investi dans cette partie là. Je me suis contentée de piocher dans les jouets et objets de notre quotidien, et de les ranger dans un ancien pot de compote en verre. Mais rien ne vous empêche de vous confectionner une malle aux sons. A l'aide d'une boite de rangement à outils avec plusieurs cases, et en dénichant de petites choses dans les magasins comme Action, Gifi, Foir'fouille etc... Il ne vous restera plus qu'à tout classer et à coller des étiquettes à chaque case pour désigner le phonème.
2. Coffret des lettres rugueuses éditions Gründ : Tout comme pour les mathématiques, il existe des coffrets de lettres rugueuses à tout petit prix. Disponible ici. Encore une fois, vous y trouverez un livret rempli de conseils s'adressant aux parents ainsi que des exercices d'écriture. Mais également les cartes rugueuses des 26 lettres de l'alphabet en écriture cursive et des images à leur associer. Ces dernières pourront servir plus tard. Cependant, il existe une astuce pour économiser encore, que ce soit pour ces cartes ci ou celles des mathématiques. Fabriquer des cartes rugueuses maisons n'a rien de compliqué, il suffit juste de s'armer de patience. Pour les réaliser vous avez plusieurs possibilités : choisissez votre support (carton, planche de bois, canson) et découpez des cartes aux dimensions souhaitées; tracez à la colle forte le chiffre ou la lettre ou le digramme de votre choix sur l'une de ces cartes; versez sur la colle des paillettes ou de la semoule non cuite ou du sable; laissez sécher. Il ne vous reste plus qu'à confectionner toutes les autres cartes en employant la même méthode.
3. Coffret des graphèmes rugueux : Coffret contenant 25 digrammes rugueux à dévoiler à l'enfant en même temps que les lettres rugueuses pour lui faire assimiler le code alphabétique. Nous y trouvons également des images et des mots à associer, parfait pour l'activité de la dictée muette qui sera présentée à notre apprenti par la suite. Un carnet vient compléter le tout, avec à l'intérieur des conseils et des idées d'ateliers à mettre en place. Vous pourrez retrouver tout cela ici. Mon avis sur ces kits à prix compétitifs est qu'ils sont intéressant pour les petits budgets. Par contre, le matériel est fragile. Ce ne sont que des cartes cartonnées qu'il ne faudrait pas laisser entre des mains peu soigneuses. Les livrets de recommandations suffisent à dispenser aux parents la bonne approche afin d'instruire au mieux leurs enfants. Quant aux images, c'est le seul gros défaut de ces coffrets. Ce sont des illustrations, alors que la pédagogie Montessori privilégie les photographies de manière à apporter de l'authenticité aux yeux des petits. Mais à titre personnel, cela ne me dérange pas.
4. L'alphabet mobile : Lorsque Pomme 2 en sera aux dictées muettes, j'investirai dans cet alphabet mobile. Pour le moment, nous n'en sommes pas encore là. Grâce aux coffrets en ma possession, je peux déjà compter sur une belle collection d'images qui inciteront Pomme 2 à composer des mots. Il ne lui manque que les lettres.
5. Livres pour débutant : Je vous en parlais plus haut, il existe plusieurs collections de livres adaptés aux lecteurs novices. Les aventures de Sami et Julie de Nathan et Mes premières lectures Montessori de Larousse figurent parmi les valeurs sûres.
- Et Pomme 2 dans tout ça ?
Pomme 2 maîtrise les 3/4 de la totalité des phonèmes. Nous jouons presque chaque jour à "mon petit œil voit un objet qui commence par...". Je n'ai d'ailleurs plus besoin de lui présenter la sonorité des éléments lorsque je les lui installe sous les yeux. Je prononce le phonème et il trouve sans aucune difficulté la réponse. Je pense que je pourrai déjà lui introduire les graphies, seulement je préfère avoir vu la totalité des sons en amont. Rien ne presse de toute façon. En revanche, il conserve des restes de notre premier mois d'école à la maison où j'utilisais des fiches sans pédagogie particulière. Fort heureusement pour moi, il ne se souvient que de la lettre A dont l'appellation et l'élocution sont identiques . C'est donc régulièrement qu'il m'interpelle pour me montrer un A qu'il aurait reconnu quelque part.
Pour conclure, ma tentative de synthétiser toutes les informations contenu dans le livre Les lois naturelles de l'enfant de Céline Alvarez ne vous donne qu'un bref aperçu de ce vaste sujet qu'est l'apprentissage de la lecture. Si vous envisagez de donner des leçons à votre enfant, que ce soit dans le cadre de l'instruction en famille ou en complément de l'école, je ne peux que vous inviter à vous procurer ce manuel qui regorge de conseils astucieux et avisés.
En attendant, je vous souhaite de beaux moments de partages et de découvertes avec vos petits bouts, et à très vite pour la suite de nos aventures.
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